Dans cette prédication de Vendredi saint, Luc Badoux relit le récit de la Passion à partir des phrases des différents protagonistes qui résonnent encore aujourd’hui.

L’histoire humaine est comme une vallée dans laquelle résonnent toujours les mêmes cris. Les situations changent, mais les mêmes mots reviennent en écho à ceux prononcés à Jérusalem, en l’an 30 de notre ère. 

Le Grand-prêtre d’Israël a demandé :

Qu’avons-nous encore besoin de témoins ? C’est clair, il mérite la mort.

Quelque part dans le monde, des mots semblables à ceux du Grand-prêtre sont repris aujourd’hui :

– Pourquoi chercher des témoins ? De toute façon, il ne mérite pas de vivre.

Les raisons de ceux qui veulent une justice expéditive sont nombreuses : envie de vengeance, envie de faire couler le sang pour apaiser la colère, pour rétablir l’ordre, pour asseoir son autorité, et parfois pour défendre l’honneur de Dieu. 

D’autres, pour se sortir sans dommage d’une situation délicate disent comme Simon Pierre :

Non, je ne connais pas cet homme. Je ne vois pas qui c’est. 

Ils ajoutent peut-être encore : D’ailleurs, je me suis toujours méfié de lui.  

Le monde, une longue vallée, et partout des hommes, des femmes qui renient, qui retournent leur veste. Et bien sûr aussi des hommes, des femmes qui sont reniés, trompés, abandonnés. Ils forment une longue chaîne dont parfois nous faisons partie. Une chaîne dont un des maillons a été renié trois fois par son compagnon le plus solide. « Non, je ne connais pas cet homme » a dit Pierre. Pierre qui un peu plus tôt prétendait suivre Jésus jusque dans la mort. 

Et lorsqu’un homme qui a trahi, ouvre les yeux sur lui-même et déclare comme Juda :

J’ai péché en livrant un sang innocent.

On lui répond comme à Juda : 

Que nous importe. C’est ton affaire.

Débrouille-toi ! Parce que les lâches, les têtes chaudes, les faibles, les traîtres, on les utilise, mais on ne les respecte pas. Ceux qui ne savent pas boire, on les utilise pour rire. Mais on ne les respecte pas. Ceux qui ne savent pas compter, on leur prête l’argent qu’ils veulent, quitte à les étrangler après. 

Ceux ou celles qui ne résistent pas à notre charme, on les séduit, on les conquiert pour satisfaire sa passion, mais ensuite on les laisse tomber. 

D’autres personnes se désolent en disant : J’ai foutu ma vie en l’air et celle de ma famille. Je me suis trompé. J’ai trahi la confiance qui m’avait été faite. On leur répond : – Que nous importe. C’est ton affaire. Il fallait réfléchir avant.

Partageons ses vêtements, tirons au sort. Il faut bien que qqn prenne ses habits. 

Il y a toujours quelqu’un pour se dire : Si ce n’est pas moi qui tire parti de cette situation, ce sera qqn d’autre. Pourquoi pas moi ?

Si ce n’est pas moi qui fais ça, quelqu’un d’autre le fera à ma place. Il faut savoir tirer les marrons du feu. 

Si ce n’est pas moi qui court le plus vite. Ce sera quelqu’un d’autre. Logique de notre monde monde où partager signifie souvent prendre sa part. Etre sûr de ne pas être perdant. 

Cette logique laisse des gens dépouillés, nus. Des gens dont la nudité fait écho à celle d’un homme nu sur une croix. Il est encore vivant, mais on se répartit déjà ses vêtements. 

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

En butte à la souffrance physique, à l’abandon de ses proches, à la solitude de celui qui meurt, Jésus se sent abandonné par Dieu. Il rejoint tous ceux qui partout et tout au long de l’histoire se sont sentis abandonnés par Dieu. Et il crie avec eux, il angoisse avec eux, et il meurt avec eux. 

Mon Dieu, mon Dieu, tu m’as abandonné. Ce n’est pas possible autrement. Une telle solitude, un tel poids, un ciel aussi bas, ça n’est pas possible autrement.  

L’histoire humaine est une vallée dans laquelle résonnent toujours les mêmes cris, qui conduisent à un même appel : 

– Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Vendredi Saint : Jésus se mêle à la masse de tous les condamnés du monde. 

Vendredi Saint : Jésus partage l’opprobre des méprisés

Vendredi Saint : Jésus se charge de la même lourdeur que tous les reniés du monde.

Vendredi Saint : Seule plage de lumière : le traître, lui, reconnaît sa faute.

Vendredi Saint : Juda reste seul avec sa faute, personne n’est là pour accueillir son repentir.

Vendredi Saint : Jésus, nu, dépossédé de tout, assiste au partage de son habit. Il est compagnon de ces pauvres à qui on prend le peu qu’ils ont. 

Vendredi Saint : d’où vient la tristesse et le sérieux que nous affichons ? 

Si notre tristesse a pour seule source la mort de Jésus, alors nous n’avons pas compris ce qui s’est passé ce jour-là. 

Si la mort de Jésus ne nous rend pas sensibles à ceux qui subissent l’injustice, à ceux que l’on trahit, c’est qu’on n’a pas compris ce qui s’est passé au Golgotha. 

C’est que nous sommes enfermés dans une logique religieuse : comme si la mort de Jésus n’était un malheur que parce qu’il était le fils de Dieu.  

La mort de Jésus est un malheur parce que chaque humain qui meurt dans la violence et la honte est un malheur. 

La passion et la mort de Jésus récapitulent toutes les injustices vécues et subies sur terre. 

Si la mort de Jésus ne nous fait pas nous révolter contre la souffrance et la mort, le viol et la déportation des gens d’aujourd’hui, alors nous sommes les descendants de Pilate qui s’est lavé les mains de la mort de celui qui était devant lui. 

Dans la longue vallée de l’histoire humaine, les mêmes drames se répètent inlassablement. Mais depuis Vendredi Saint, les reniés et les méprisés, les déportés et les dépouillés ne sont pas seuls dans leur malheur. Depuis ce jour-là le Fils de Dieu souffre, s’indigne et gémit avec eux. A leur révolte et à leurs larmes, viennent se joindre celles de Dieu, le Père. A celle de Dieu doivent venir s’ajouter notre révolte et nos larmes à nous, les frères et sœurs du Christ et de toutes celles et ceux qui souffrent aujourd’hui.                          

Textes bibliques lus avant cette prédication :

Mt 26.57-75 : Jésus devant Caïphe ; reniement de Pierre

Mt 27.1-31 : Suicide de Juda ; Jésus devant Caïphe

Mt 27.32-50 : crucifixion et mort de Jésus

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
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